Comprendre l’expertise judiciaire

Par Jean-Marin LEROUX-QUETEL
Avocat associé
Docteur en droit

Mise à jour du 7 mars 2023


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Pourquoi recourir à l’expertise ?

On ne peut espérer gagner son procès sans preuve.

Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.
Article 9 du Code de procédure civile


Il est toutefois possible, sous certaines conditions, de demander au juge de participer à l’administration de la preuve en lui demandant d’ordonner une mesure d’instruction.

Les faits dont dépend la solution du litige peuvent, à la demande des parties ou d’office, être l’objet de toute mesure d’instruction légalement admissible.
Article 143 du Code de procédure civile


Au nombre de ces mesures figure l’expertise judiciaire.

L’expertise judiciaire peut-être demandée dans le cadre d’un procès ou avant tout procès dans le cadre de ce que l’on nomme « un référé-expertise ».

Les mesures d’instruction peuvent être ordonnées en tout état de cause, dès lors que le juge ne dispose pas d’éléments suffisants pour statuer.

S’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé.
Articles 144 et 145 du Code de procédure civile.


L’expertise judiciaire n’est possible que sous certaines conditions.

Une mesure d’instruction ne peut être ordonnée sur un fait que si la partie qui l’allègue ne dispose pas d’éléments suffisants pour le prouver.

En aucun cas une mesure d’instruction ne peut être ordonnée en vue de suppléer la carence de la partie dans l’administration de la preuve.
Article 146 du Code de procédure civile.


Tel sera le cas toutes les fois où la solution du litige repose sur des constats et avis techniques qui nécessitent d’être contradictoirement débattus. Tout l’intérêt de l’expertise (et de toute mesure d’instruction) est de mener des investigations dans un cadre judiciaire, sous l’autorité du juge, et dans le respect de règles qui garantissent l’impartialité du résultat.

En droit immobilier, le recours à l’expertise est très fréquent que ce soit pour déterminer les causes des désordres qui affectent un immeuble ou évaluer contradictoirement la valeur d’un bien. Différentes spécialités sont sollicitées : architecte, économiste de la construction, thermicien, spécialiste des fluides, etc.


En droit du dommage corporel, le recours à l’expertise est là encore très fréquent que ce soit pour établir une possible faute médicale et/ou évaluer les préjudices de la victime (déficit fonctionnel permanent, souffrances endurées, besoins en tierce personne, préjudice esthétique, incidence professionnelle, etc.).


Il existe encore bien d’autres domaines techniques dans lequel le recours à l’expertise se justifie pleinement. Il est en effet fréquent que le juge se trouve confronté à des questions de fait dont la résolution dépasse ses compétences personnelles et professionnelles.


L’expertise doit, comme toute mesure d’instruction, avoir un objet légal. Elle doit également être utile et pertinente.

Une expertise ne peut être ordonnée sur un fait que si la partie qui l’allègue ne dispose pas d’éléments suffisants pour le prouver. Si la partie qui requiert une mesure d’instruction peut accéder par elle-même aux éléments recherchés, la mesure d’instruction n’est pas utile. La Cour de cassation considère toutefois que cette règle ne s’applique pas lorsque le juge est saisi d’une demande présentée avant tout procès (le référé-expertise).

La décision du juge : la feuille de route de l’expert judiciaire


La décision du juge (ordonnance de référé ou du juge de la mise en état, jugement avant-dire-droit, etc.) expose les circonstances qui rendent la mesure nécessaire et désigne le ou les experts en charge de son exécution.

Elle énonce les chefs de la mission de l’expert judiciaire. Ce point est essentiel car l’expert ne peut répondre à d’autres questions que celles posées par le juge sauf accord écrit des parties.

La mission ne peut porter que sur des questions de fait et non sur des questions de droit.

Il est essentiel de veilleur à ce que la mission soit énoncée de façon claire, précise et détaillée et qu’elle soit adaptée à l’objet du litige.

Le Code de procédure civile impose également au juge de préciser dans sa décision :

Le délai dans lequel la mesure devra être exécutée ;
La ou les parties qui seront tenues de verser à l’expert judiciaire une avance sur sa rémunération (une provision) ;
Le montant de cette provision.

Le déroulement de l’expertise


Commis par le juge, ayant accepté sa mission, l’expert judiciaire va convoquer les parties pour une première réunion d’expertise. Au cours de ce premier accedit, il va donner aux parties lecture de la mission qu’il va exécuter point par point. Il peut se faire communiquer tout document qu’il juge nécessaire et entendre toute personne dont le témoignage peut être utile à l’accomplissement de la mesure.

L’expert judiciaire est soumis à une obligation générale de conscience, d’objectivité et d’impartialité. Il doit exécuter personnellement sa mission ce qui ne lui interdit pas de recueillir l’avis d’un autre technicien dans l’hypothèse où il relève d’une autre spécialité que la sienne.

Lors des opérations d’expertise, les parties peuvent être assistées de leur avocat ou de tout expert de leur choix (maître d’œuvre, médecin-conseil, etc.).

Les parties ont un rôle essentiel dans l’exécution de l’expertise. Elles peuvent adresser à l’expert judiciaire des observations ou des réclamations qui peuvent être écrites (des dires) ou orales (lors des réunions d’expertise).
L’expert judiciaire est tenu d’y répondre favorablement ou non.

L’expert judiciaire peut adresser aux parties des rapports intermédiaires que la pratique appelle “notes aux parties“.


Il est fréquent que le juge enjoigne à l’expert judiciaire d’établir un document de synthèse appelé “pré-rapport” avant le dépôt de son rapport “définitif”. Ce document permet aux parties de faire valoir leurs dernières observations avant la clôture des opérations.

Tout au long des opérations d’expertise, le juge ou tout autre magistrat désigné à cet effet a pour mission de veiller au bon déroulement de la mesure.

Une fois sa mission achevée, l’expert judiciaire dépose son rapport. Il adresse au juge pour validation sa note de frais et honoraires.

Après le dépôt du rapport d’expertise


Soit l’expertise judiciaire a été ordonnée “avant-dire-droit” et le procès reprend son cours normal, soit elle a été ordonnée avant tout procès et il appartient alors au demandeur à l’expertise de décider s’il est ou non fondé à agir en justice. S’il gagne son procès, le demandeur peut obtenir du juge que les frais d’expertise soit mis à la charge de la partie perdante.

Attention aux délais !

Lorsque l’expertise est ordonnée avant tout procès (le référé-expertise), les délais pour agir recommencent à courir. Les délais de prescription sont suspendus le temps de l’expertise. Il en va différemment des délais de forclusion (garantie de parfait achèvement, garantie décennale, vices cachés…) lesquels ne peuvent être suspendus que dans le cadre d’une instance au fond.

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