L’expertise judiciaire dans le domaine de la construction

Me Jean-Marin LEROUX-QUETEL

Par Jean-Marin LEROUX-QUÉTEL
Docteur en droit
Avocat associé
Spécialiste en droit immobilier

Date de mise à jour : 30 mai 2025

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Le recours à une expertise judiciaire dans le domaine de la construction est un outil précieux quand il n’est pas indispensable pour évaluer des problèmes techniques, résoudre amiablement des conflits ou obtenir gain de cause devant un tribunal.

L’expertise judiciaire permet au juge d’avoir des réponses à des questions de fait dont la résolution dépasse ses compétences personnelles et professionnelles.


Pourquoi recourir à l’expertise ?

On ne peut espérer gagner son procès sans preuve.

Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.
Article 9 du Code de procédure civile


Il est toutefois possible, sous certaines conditions, de demander au juge de participer à l’administration de la preuve en lui demandant d’ordonner une mesure d’instruction.

Les faits dont dépend la solution du litige peuvent, à la demande des parties ou d’office, être l’objet de toute mesure d’instruction légalement admissible.
Article 143 du Code de procédure civile


Au nombre de ces mesures figure l’expertise judiciaire.

L’expertise judiciaire peut-être demandée dans le cadre d’un procès ou avant tout procès dans le cadre de ce que l’on nomme « un référé-expertise ».

Les mesures d’instruction peuvent être ordonnées en tout état de cause, dès lors que le juge ne dispose pas d’éléments suffisants pour statuer.

S’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé sur requête ou en référé.
Articles 144 et 145 du Code de procédure civile.


L’expertise judiciaire n’est possible que sous certaines conditions.

Une mesure d’instruction ne peut être ordonnée sur un fait que si la partie qui l’allègue ne dispose pas d’éléments suffisants pour le prouver.

En aucun cas une mesure d’instruction ne peut être ordonnée en vue de suppléer la carence de la partie dans l’administration de la preuve.
Article 146 du Code de procédure civile.


Tel sera le cas toutes les fois où la solution du litige repose sur des constats et avis techniques qui nécessitent d’être contradictoirement débattus. Tout l’intérêt de l’expertise (et de toute mesure d’instruction) est de mener des investigations dans un cadre judiciaire, sous l’autorité du juge, et dans le respect de règles qui garantissent l’impartialité du résultat.

En droit immobilier, le recours à l’expertise est très fréquent que ce soit pour déterminer les causes des désordres qui affectent un immeuble ou évaluer contradictoirement la valeur d’un bien. Différentes spécialités sont sollicitées : architecte, économiste de la construction, thermicien, spécialiste des fluides, etc.


L’expertise doit, comme toute mesure d’instruction, avoir un objet légal. Elle doit également être utile et pertinente.

Une expertise ne peut être ordonnée sur un fait que si la partie qui l’allègue ne dispose pas d’éléments suffisants pour le prouver. Si la partie qui requiert une mesure d’instruction peut accéder par elle-même aux éléments recherchés, la mesure d’instruction n’est pas utile.

La Cour de cassation considère toutefois que cette règle ne s’applique pas lorsque le juge est saisi d’une demande présentée avant tout procès (le référé-expertise).

La décision du juge : la feuille de route de l’expert judiciaire


La décision du juge (ordonnance de référé ou du juge de la mise en état, jugement avant-dire-droit, etc.) expose les circonstances qui rendent la mesure nécessaire et désigne le ou les experts en charge de son exécution.

Elle énonce les chefs de la mission de l’expert judiciaire. Ce point est essentiel car l’expert ne peut répondre à d’autres questions que celles posées par le juge sauf accord écrit des parties.

La mission ne peut porter que sur des questions de fait et non sur des questions de droit.

Il est essentiel de veilleur à ce que la mission soit énoncée de façon claire, précise et détaillée et qu’elle soit adaptée à l’objet du litige. C’est le rôle de l’avocat.

Le Code de procédure civile impose également au juge de préciser dans sa décision :

Le délai dans lequel la mesure devra être exécutée ;
La ou les parties qui seront tenues de verser à l’expert judiciaire une avance sur sa rémunération (une provision) ;
Le montant de cette provision.

Le déroulement de l’expertise


Commis par le juge, ayant accepté sa mission, l’expert judiciaire va convoquer les parties pour une première réunion d’expertise.

Au cours de cette première réunion (ou accedit) il va donner aux parties lecture de la mission qu’il va exécuter point par point. Il peut se faire communiquer tout document qu’il juge nécessaire et entendre toute personne dont le témoignage peut être utile à l’accomplissement de la mesure.

Lors des opérations d’expertise, les parties peuvent être assistées de leur avocat ou de tout expert de leur choix (maître d’œuvre, médecin-conseil, etc.).

L’expert va ensuite examiner en présence des parties l’immeuble objet de l’expertise judiciaire. Il prendra des notes et réalisera des photos pour documenter son rapport.

L’expert peut avoir à réaliser des sondages destructifs pour rechercher les causes des désordres allégués par le demandeur lequel devra donner son accord. Il peut être matériellement assisté d’une entreprise qualifiée (au frais du demandeur ce qui suppose là aussi son accord).

Les parties peuvent échanger au cours de la réunion d’expertise mais aussi communiquer après avec l’expert judiciaire en lui adressant ce que la pratique appelle des « dires ».

Un peu de vocabulaire :
  • Les observations adressées par les parties à l’expert sont appelées “dires”.
  • Les écrits adressés par l’expert  aux parties sont appelés “notes aux parties”.
  • Le technicien d’une autre spécialité qui aide l’expert dans sa mission est appelé « sapiteur ».


L’expert doit de manière constante veiller à ce que chaque partie dispose des mêmes informations : c’est le principe du contradictoire.

A la fin de la réunion, l’expert judiciaire – qui n’est pas tenu d’exprimer à ce stade un avis – peut décider de la nécessité d’organiser une ou plusieurs réunions d’expertise complémentaires. Il devra aviser les parties du coût prévisible de ses opérations ainsi que leur durée.

Les parties ont un rôle essentiel dans l’exécution de l’expertise. Elles peuvent adresser à l’expert judiciaire des observations ou des réclamations qui peuvent être écrites (des dires) ou orales (lors des réunions d’expertise).
L’expert judiciaire est tenu d’y répondre favorablement ou non.

L’expert judiciaire peut adresser aux parties des rapports intermédiaires que la pratique appelle « notes aux parties« .

L’expert judiciaire est soumis à une obligation générale de conscience, d’objectivité et d’impartialité. S’il doit exécuter personnellement sa mission cela ne lui interdit pas de recueillir l’avis d’un autre technicien dans l’hypothèse où il relève d’une autre spécialité que la sienne solliciter le concours d’un autre expert d’une autre spécialité que la sienne lorsqu’il est confronté à une question technique hors de son champ de compétence.

Lorsqu’il est confronté à une difficulté l’expert judiciaire doit en référer au juge chargé de contrôler ses opérations. Les parties ont cette même prérogative.

Tout au long des opérations d’expertise, le juge ou tout autre magistrat désigné à cet effet a pour mission de veiller au bon déroulement de la mesure.

Il est fréquent que le juge enjoigne à l’expert judiciaire d’établir un document de synthèse appelé « pré-rapport » avant le dépôt de son rapport « définitif ». Ce document permet aux parties de faire valoir leurs dernières observations avant la clôture des opérations.

Les parties – le cas échéant par l’intermédiaire des avocats – adressent leurs observations à l’expert judiciaire. En toutes circonstances, l’expert doit y répondre sauf à estimer l’avoir déjà fait.

Une fois sa mission achevée, l’expert judiciaire dépose son rapport. Il adresse au juge pour validation sa note de frais et honoraires. Les parties disposent de 15 jours à compter de sa réception pour  adresser à l’expert et au juge leurs éventuelles observations écrites. Passé ce délai, le juge fixe la rémunération de l’expert et lui remet un titre exécutoire lui permettant de la recouvrer. Ce titre est notifié aux parties qui disposent d’un délai d’un mois pour le contester devant la Cour d’appel.

Combien de temps dure et coûte une expertise ?

Le juge précise dans sa décision le délai dans lequel la mesure devra être exécutée.

L’expert a toujours la faculté de demander au juge de proroger ce délai. En pratique c’est très fréquent.

Les expertises judiciaires en construction sont longues (avec un délai “standard” de deux ans). Leur durée dépend bien évidemment du nom et de l’importance des non-conformités et vices de constructions dénoncés par le demandeur, du nombre de parties (constructeurs, assureurs, etc.) et de la nature des investigations à entreprendre. Parfois l’examen de l’ouvrage impose de saisir le juge d’une demande complémentaire d’expertise ou d’une demande d’extension de la mesure d’instruction à de nouvelles parties (dont on découvre qu’elles ont été possiblement défaillantes).

Plus l’expertise est longue et complexe, plus elle est coûteuse.

La souscription (avant sinistre) d’une garantie protection juridique peut permettre une prise en charge partielle ou totale des frais d’expertise.

  • L’assurance ne couvre que les litiges liés aux évènements garantis dans le contrat. Les sinistres afférents à des constructions nouvelles sont généralement exclus.
  • La protection juridique couvre les frais de justice avec une prise en charge plafonnée. Le montant varie selon les garanties souscrites et le contrat.

Après le dépôt du rapport d’expertise


Soit l’expertise judiciaire a été ordonnée « avant-dire-droit » et le procès reprend son cours normal, soit elle a été ordonnée avant tout procès et il appartient alors au demandeur à l’expertise de décider s’il est ou non fondé à agir en justice. S’il gagne son procès, le demandeur peut obtenir du juge que les frais d’expertise soit mis à la charge de la partie perdante.

Il est toujours possible de recourir à un règlement amiable du litige.

Attention aux délais !

Lorsque l’expertise est ordonnée avant tout procès (le référé-expertise), les délais pour agir recommencent à courir. Les délais de prescription sont suspendus le temps de l’expertise. Il en va différemment des délais de forclusion (garantie de parfait achèvement, garantie décennale, vices cachés…) lesquels ne peuvent être suspendus que dans le cadre d’une instance au fond.

Quelle responsabilité pour l’expert judiciaire ?

L’expert judiciaire n’est pas assimilable au juge. Il est acquis que sa responsabilité peut-être recherchée indépendamment d’une faute lourde détachable de ses fonctions.

La responsabilité personnelle d’un expert judiciairement commis peut être engagée à raison de fautes commises dans l’accomplissement de sa mission conformément aux règles de droit commun de la responsabilité des articles 1240 et suivants du code civil (articles 1382 et suivants antérieurement au 1er octobre 2016).

Il s’agit donc d’une responsabilité extra-contractuelle.
La responsabilité extra-contractuelle suppose de rapporter la preuve d’une faute, d’un préjudice et lien de causalité entre les deux.

Toute erreur expertale n’est pas constitutive d’une faute !


L’élément objectif de la faute est constitué par l’illicéité de l’acte, généralement appréciée in abstracto.

Statistiquement (dans un ordre décroissant) :
– des investigations insuffisantes,
– des préconisations inadaptées ;
– des erreurs de diagnostic ;
– des rapports incomplets.
Le secteurs d’activité le plus concerné est le bâtiment (65%).

Deux types de fautes peuvent être retenues :
– Le non-respect des obligations procédurales prévues par le code de procédure civile. Ce sont des fautes « objectives » assez aisées à caractériser comme le non-respect du contradictoire ou le non-respect des délais ;
– Le non-respect par l’expert judiciaire des règles de son art conduisant à rendre un avis erroné : légèreté dans la conduite des opérations d’expertise, négligences, absence d’analyse critique des pièces remises par les parties, absence de réserves, etc.

Il faut en second lieu un dommage (préjudice matériel, moral et/ou corporel).

Une décision fondée sur un rapport erroné ne fait jamais naître qu’un dommage éventuel réparé par l’indemnisation d’une perte de chance : de gagner son procès, de voir son procès aboutir plus rapidement (favorablement ou pas), etc.


Et enfin, troisième condition : un lien de causalité.

Exemple : Il faut que le rapport de l’expert judiciaire ait emporté la conviction du juge pour qu’il soit à l’origine d’une perte de chance de gagner son procès.

Il est donc vivement recommandé à l’expert judiciaire de souscrire une assurance de responsabilité civile professionnelle.

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